La fourmi Allomerus decemarticulatus s'attaque à des proies démesurées.
Une armée de tueuses de 2 millimètres de long
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Par Alexandra SCHWARTZBROD
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samedi 23 avril 2005 (Libération)
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Qui peut capturer une proie pesant 1500 fois son propre poids afin de la dévorer en paix ? Une espèce animale au moins en est capable : l'Allomerus decemarticulatus, une fourmi arboricole que l'on trouve exclusivement sur une plante amazonienne, la Hirtella physophora. Une équipe de chercheurs menée par Jérôme Orivel, du laboratoire d'évolution et diversité biologique de l'université Paul- Sabatier de Toulouse, a découvert que ces fourmis de 2 mm de long étaient capables de capturer des insectes de plus de 3 cm en construisant collectivement un piège à l'aide des poils de la plante, de matière organique et du mycélium d'un champignon.

Ce type de stratégie, dévoilé dans le dernier numéro de Nature, n'avait jamais été observé chez les fourmis. «Jusqu'à présent, on pensait que seules les araignées sociales construisaient de tels pièges collectifs. Et encore, celles-ci utilisent un élément interne, la soie, pour fabriquer leur toile ; les fourmis, elles, s'aident d'éléments externes», explique Jérôme Orivel.

Concrètement, les fourmis découpent d'abord une partie des poils de la plante, sous la tige, dégageant ainsi une sorte d'allée bordée de «piliers» formés par les poils non coupés. Les poils coupés, eux, sont entremêlés pour former une trame qui va être cimentée avec la matière organique et posée sur les piliers. Un champignon spécifique se développe pour consolider l'ensemble, formant une sorte de galerie percée de nombreux trous. A l'affût derrière ces trous, mandibules ouvertes, les fourmis se saisissent des extrémités du premier insecte qui a le malheur de se poser sur le piège et les tirent très fort jusqu'à ce que la proie soit écartelée et immobilisée.

D'autres fourmis sortent alors pour piquer la victime et la paralyser de leur venin. Elle est ensuite transportée puis découpée pour nourrir les larves, fournissant ­ via ses protéines ­ l'azote dont elles ont besoin pour se développer.