Rachel Carson (1907 - 1964)

Mis à jour le 11-Fév-2023

                            

Silent Spring (1962, traduction 1963 puis 2011 avec préface d'Al Gore, réédité 2020). Ce livre a été notre livre de chevet qui a éveillé nos consciences d'écologistes dans les années post68. Rachel Carson a signalé que les oiseaux au printemps ne chantaient plus à cause de l'usage incontrôlé des pesticides, en particulier le DDT qui amoindrit la coquille et les oeufs s'écrasent sous le parent qui couve. Elle a combattu cet usage contre la fourmi de feu, des millions de dollards dépensés sans succès autre que d'empoisonner l'environnement. Voir le texte

     

N'oublions pas la campagne scandaleuse de l'agrochimie contre le livre de R. Carson bien sûr traitée de communiste. Un exemple : « si l'homme devait suivre les enseignements de Miss Carson, nous retournerions au Moyen Âge, et les insectes, les maladies et la vermine hériteraient une nouvelle fois de la Terre ». En 2007 pour le centenaire de sa naissance un sénateur républicain écrivait que « l'on s'était enfin débarrassé de la science de pacotille et de la stigmatisation du DDT - l'insecticide le plus économique et le plus efficace de la planète ». (Wikipedia).

Stéphane Foucart dans sa chronique du Monde, du 25-26 avril 2021, à propos de l'approche "One Health" parle des effets à long terme du DDT :
"Dans une étude publiée le 14 avril dans la revue Cancer Epidemietogy: Biomarkers Prevention et passée inaperçue en France, Mme Cotin et ses coauteurs sont parvenus à établir une association entre l'exposition au DDT (un célèbre pesticide), dans les années 1960, de femmes californiennes et la susceptibilité au cancer du sein de leurs petites-filles - des jeunes femmes d'aujourd'hui. En 2015, la même équipe avait déjà montré que les filles dont les mères appartenaient au quart de la population la plus exposée au DDT avaient, autour de la cinquantaine, un risque presque quadruplé de cancer du sein, par rapport à celles dont les mères avaient été le moins exposées.
Cette fois, en examinant les filles des filles de ces femmes californiennes exposées au DDT il y a six décennies, les mêmes auteurs suggèrent la persistance d'une prédisposition au risque de cancer du sein celles dont les grand-mères avaient les taux de DDT les plus élevés ont un risque doublé d'obésité et de puberté précoce. Deux facteurs de risque reconnus pour le carcinome mammaire. Bien sûr, la causalité n'est jamais démontrée par une étude observationnelle isolée, mais ces travaux sont cohérents avec les conclusions de nombreux autres. S'agissant d'une maladie qui touche une femme sur huit à une femme sur sept au cours de sa vie, ils pourraient revêtir une importance considérable en termes de santé publique.
Si l'histoire du DDT illustre si bien le fameux "One E-lealth", c'est que la bataille contre ce pesticide - interdit en 1972 aux Etats-Unis - a d'abord été celle des environnementalistes, plutôt que celle des autorités sanitaires et des médecins.. Jusqu'à la fin des années 1970 et même au-delà, les possibles effets délétères du produit sur les humains sont demeurés controversés. En revanche, ses dégâts sur la faune sauvage - en particulier les oiseaux - étaient eux, sans équivoque depuis les années 1950.
Mais les oiseaux, qui s'en souciait ? En 1962, dans son célèbre livre Printemps silencieux, la biologiste Rachel Carson a été la première à alerter publiquement sur le sujet. En dépit de la rigueur de son magnum opus, elle fut (et demeure) moquée et dénigrée, raillée pour sa sensiblerie » et son "hystérie" écologiste. En réalité, Rachel Carson ne faisait qu'appliquer les principes de l'approche "One Health", cinquante ans avant que cela ne devienne un élément de langage à la mode. L'environnementalisme d'hier était, en somme, un engagement pour la santé publique d'aujourd'hui. Il n'est pas certain que ceux qui enfourchent ces jours-ci ce cheval de bataille réincarné en slogan politique en aient vraiment conscience.
"

Stéphane Foucart (2022) revient sur le livre « “Printemps silencieux” permet de mesurer l’étendue de la victoire de l’industrie chimique contre les sciences de l’environnement ».
"Il y a soixante ans, le 27 septembre 1962, l’éditeur américain Houghton Mifflin publiait l’un des livres les plus importants du XXe siècle. Printemps silencieux, de Rachel Carson, était déjà de toutes les conversations car, tout l’été, le New Yorker avait commencé à donner à ses lecteurs, en feuilleton, la primeur de ses dix-sept chapitres. Ainsi, à la publication officielle du volume, une féroce bataille d’influence et d’endiguement du débat public était déjà engagée. Sentant que le moment était décisif, et qu’il se jouait là, autour de ce livre, les conditions de sa survie, l’industrie chimique y a mis toutes ses forces.
Printemps silencieux dénonçait les ravages environnementaux et les risques sanitaires que faisait peser l’utilisation massive, indiscriminée et systématique des pesticides de synthèse dans l’agriculture, et bien d’autres activités.
Pour autant, avec six décennies de recul, il fait peu de doute que l’industrie chimique est sortie globalement gagnante de la bataille engagée au printemps 1962. Pour le comprendre, il ne suffit pas de constater que l’agriculture industrielle dopée aux intrants reste maîtresse du globe, que toutes les molécules interdites sont aussitôt remplacées par d’autres souvent plus problématiques, que l’intensité de leur usage ne cesse de s’accroître, ou que l’essentiel des subventions publiques à l’agriculture continuent de nourrir cette spirale.
On ne peut qu’être stupéfait, à la lecture du livre, de l’extraordinaire justesse des intuitions scientifiques de son autrice, mais aussi de l’étendue de ce qui était parfaitement connu il y a soixante ans. La consultation des archives du New York Times montre d’ailleurs que, tout au long des années 1950, les questions liées aux risques des pesticides et du DDT font l’objet d’une intense couverture journalistique. L’inquiétude, y compris au sein de la communauté scientifique élargie, était déjà palpable bien avant la publication du livre. Et tout autant en France.
En témoigne un texte remarquable du géologue Louis Barrabé, né en 1895, exhumé par le sociologue Sylvain Laurens (Ecole des hautes études en sciences sociales) dans les archives des Cahiers rationalistes. « Les petits animaux (…) n’échappent pas à la destruction, écrit ce proche de Frédéric Joliot-Curie. Dans le but de se débarrasser de quelques insectes nuisibles, l’homme utilise depuis quelques années des produits chimiques, le DDT surtout, dont l’emploi généralisé entraîne dans certaines régions non seulement la disparition de tous les insectes, mais indirectement des oiseaux, des poissons et des batraciens. »
Déserts biologiques
Ce texte, intitulé « L’Exploitation rationnelle du globe », a été publié en 1950. Plus d’une décennie avant la publication du livre de Rachel Carson – ouvrage qui paraîtra un an après la mort du géologue français. En 1950, non seulement la connaissance des effets dévastateurs de l’usage massif et indiscriminé de biocides est déjà là, mais elle s’est propagée à des communautés savantes sans liens avec l’étude des toxiques.
On peut alors, y compris au cœur de l’establishment scientifique, critiquer vertement l’agrochimie. Le biologiste Roger Heim, grand résistant et président de l’Académie des sciences en 1963, n’hésitait pas, dans sa préface à la première édition française de Printemps silencieux, à demander : « Qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leurs profits et à leurs imprudences ? ».
Aujourd’hui, alors que la quantité d’insectes volants a chuté d’au moins 75 % au cours des trois dernières décennies dans les campagnes occidentales, que nos plaines céréalières sont des déserts biologiques et que les autorités sanitaires se débattent pour gérer la pollution généralisée de nos ressources en eau, aucun homme de science ne pourrait se risquer à de tels propos. Les « empoisonneurs publics » fustigés dans les années 1960 par Roger Heim sont devenus des léviathans qui imposent leur volonté aux Etats ; ce qui était craint, ou bien vécu comme scandaleux et insupportable au mitan du siècle passé, est peu à peu devenu la norme. C’est ce que Rachel Carson redoutait le plus.
Stéphane Foucart

Rachel Carson, Pour la beauté du monde, de Thierry Paquot, Calype (2023) dans le Monde du 10 février 2023 (Pdf). La vie de R. Carson et son combat contre le DDT qui hélas n'est pas fini :

- Foucart, S. (2021). « One Health » à toutes les sauces Le Monde. 25-26 avril 2021. p.29. (voir le pdf)
- Foucart, S. (2022) « “Printemps silencieux” permet de mesurer l’étendue de la victoire de l’industrie chimique contre les sciences de l’environnement ». Lemonde.fr 9 octobre 2022.