Interview Philippe Wegnez (10 juillet 2019)

J’ai suivi mes cours à l’école des eaux et forêts à La Reid (Belgique). Je suis diplômé A2 (Bac) aux Eaux et Forêts, équivaut à l’ONF en France. J’ai aussi passé le brevet de guide nature en 1995. Je me suis toujours passionné pour la nature et l’environnement.

J’ai participé à de nombreux inventaires comme : les oiseaux, les batraciens, les papillons, les libellules, les coccinelles et les guêpes. En 2003, suite à un stage hyménoptères organisé par le Cercle des Naturalistes de Belgique (CNB), j’ai trouvé qu’il serait intéressant de mettre en place un inventaire des fourmis car personne ne s’en occupait à l’époque, en Wallonie.
Très vite, de nombreuses espèces réputées rares ou exceptionnelles, en Belgique, ont été découvertes ce qui démontrait bien que les informations que nous avions à notre disposition étaient souvent biaisées. Cet état de fait était dû au manque cruel de recherche sur le terrain.

Je ne fais pas partie du monde des chercheurs, je n’ai donc fait aucune thèse.

Actuellement, je termine l’atlas des fourmis du Luxembourg. J’ai aussi beaucoup de projets comme inventorier les fourmis de Corrèze, retourner dans le Parc du Mercantour pour y poursuivre les inventaires. Mais mon plus gros projet est d’essayer de démontrer que Teleutomyrmex essaime en s’accrochant à la reine hôte d’une autre espèce (Tetramorium). L’idée ou le défi, consistera à retourner sur le site où nous avions découvert l’espèce, il y a quelques années, à retrouver un ou plusieurs nids et à placer des tentes d’envol afin de capturer les reines de Tetramorium lors de l’essaimage et découvrir si certaines d’entre elles sont accompagnées d’une reine de Teleutomyrmex qui y serait accrochée. J’espère pouvoir mettre ce projet sur pied en 2020 ou en 2021.

Pour moi, toutes les espèces animales sont « belles ». Je crois que la vraie beauté est dans la découverte et l’observation des différentes espèces dans leur milieu de vie. Les espèces les plus colorées, tant chez les oiseaux que les insectes, sont souvent décrites comme les plus belles ou citées comme belles espèces mais observer un petit grimpereau nourrir ses oisillons qui se trouve dans un nid coincé entre l’écorce d’un arbre ou dans la structure d’un manège en bois, c’est tout aussi beau et extraordinaire. La vraie beauté passe par l’observation et elle est amplifiée pour des espèces vivement colorées, rarement observées, dans lieux insolites …

Dans le même genre d’idée, toutes les espèces sont intéressantes car on ne sait jamais tout sur leur vie, leur écologie, leur façon de fonctionner. Une tourterelle qui niche en pleine ville sur un feu tricolore situé dans un grand carrefour routier ! Une mésange qui vient chercher des poils sur le dos d’un chien pour faire son nid …

Bien qu’il existe des bizarreries, aucun animal n’est vraiment bizarre. Une fois encore, il s’agit de notre vision des choses qui est souvent tronquée par notre méconnaissance du monde dans lequel nous vivons et du monde dans lequel les différents organismes vivent.

Si on souhaite mettre ses recherches sur papier et les agrémenter de nouveautés alors toutes les publications sont difficiles, compliquées et demandent énormément de travail. En amont, il y a tout le travail de terrain, ensuite il faut essayer de trouver et lire tout ce qui existe sur le sujet dans la littérature pour enfin seulement se lancer dans l’écriture.
Toutes les publications auxquelles j’ai participé m’ont toujours donné beaucoup de satisfaction car elles amenaient souvent des informations intéressantes ou nouvelles pour les espèces ciblées. La publication qui m’a donné le plus de satisfaction est le livre Fourmis de Wallonie car il a été le premier du genre, écrit en français, qui reprenait toutes les informations sur la vie et l’écologie des fourmis, en général, mais aussi une clé de détermination et des fiches espèces. Cela a demandé énormément de travail de terrain mais aussi d’écriture de relecture …

Le plus gros problème qu’une publication m’a posé est sans conteste la perte d’une amitié. Que ce soit dans la vie de tous les jours, la recherche, le travail il y a de la compétition, des intérêts financiers ou prestigieux mais dans un travail qui est guidé ou devrait être guidé uniquement par la passion, qui ne vous rapporte pas d’argent, ni de gloire, ni de promotion au travail … il m’est difficile de comprendre pourquoi une personne que l’on côtoie depuis 10 ans peut, du jour au lendemain, vous tourner le dos et vous exclure sous de faux prétextes, des malentendus ou des non-dit …
Le livre « Fourmis d’Europe occidentale », traduit en plusieurs langues, est vraiment une belle récompense pour le travail accompli mais il me laisse aussi avec un sentiment de tristesse pour ce qui a été perdu.

Comme dit dans ce qui précède, la compétition existe dans le monde du travail et le monde de la recherche n’y échappe pas. Dans certains cas et d’une certaine façon, la compétition peut également être une bonne chose car elle peut motiver les gens à se surpasser et à donner le meilleur d’eux-mêmes. Je crois aussi qu’il y a une différence essentielle entre le chercheur ou le scientifique qui vit de son travail et l’individu qui travaille pour vivre et utilise son temps libre pour s’adonner à sa passion.
Les plus chanceux étant sûrement ceux qui vivent de leur passion.
Je n’aurai qu’un conseil à donner aux jeunes ou au moins jeunes, le plus important est de vivre sa passion même si cela signifie de ne pas pouvoir en vivre.