Entomologie. Les ouvrières repèrent le chemin du nid
grâce à des angles précis.
Les fourmis guidées
par la géométrie
Par Florence HEIMBURGER
samedi 18 décembre
2004
Phéromones. Amenées à évoluer dans un environnement qui leur est plus
hostile que celui du nid, il vaut mieux, pour ces ouvrières privées de vue,
qu'elles sachent se repérer. Pour ce faire, elles se basent sur les réseaux
arborescents de phéromones laissées par certaines d'entre elles sur le sol. Des
traces précieuses car elles relient le nid à l'environnement nourricier, et
indiquent ainsi aux fourmis le chemin à prendre. Certains chercheurs pensaient
que le secret de leur orientation tenait dans la composition de ces molécules
chimiques. En réalité, c'est plus compliqué. En 1993, une étude espagnole avait montré que les réseaux de quatre espèces
de fourmis présentaient invariablement un angle entre deux nouveaux
embranchements compris entre 50° et 60°. Il en est de même pour les pistes de
phéromones des fourmis pharaons. «C'est la régularité de cet angle qui nous a
fait penser que les fourmis pourraient s'en servir pour distinguer le bon
chemin, celui qui leur permet de se rendre au nid de celui qui les en
écarte», explique Francis Ratnieks, l'entomologue qui a dirigé l'étude. Riquiqui. Les scientifiques ont mis à l'épreuve leur hypothèse en
installant une colonie de ces petites fourmis de 2 mm dans leur laboratoire et
ont alors réalisé deux expériences. Ils ont d'abord placé individuellement des
«fourrageuses» dans un réseau de traces naturel et complet, pour voir si elles
étaient capables, seules, de se réorienter lorsqu'elles n'étaient pas sur le bon
chemin : 75 % des ouvrières nourries ont pu faire demi-tour, contre 65 % pour
les fourmis à jeun. Dans une deuxième expérience, les chercheurs ont reproduit
la même situation mais en disposant les fourmis sur un réseau artificiel de
phéromones, avec un angle entre deux nouvelles branches allant de 0° à 120°.
Leurs constats : quand cet angle est de 53°, une configuration similaire à celle
qu'elles produisent dans la nature, les fourmis sont capables de faire demi-tour
si elles ont fait fausse route. En revanche, si ce même angle est nul (le chemin
est droit) ou égal à 120° (les trois directions sont équidistantes), elles
conservent leur mauvaise orientation. Cette méthode, qui fonctionne comme des
panneaux signalétiques pour bestioles, permet aux hyménoptères de retrouver leur
route, donc de ne pas perdre de temps, et, du coup, de se protéger de leurs
prédateurs. Elle pourrait toutefois aussi servir à l'opérateur britannique British
Telecom qui, il y a quatre ans, a commandé l'étude. «B.T. était intéressé car
l'entreprise est confrontée à des difficultés croissantes de gestion des
systèmes complexes, comme le réseau de téléphonie mobile», précise Mike
Holcombe, ingénieur informatique et coauteur de l'étude. «Mais nos
conclusions sur ce point ne seront sans doute pas d'une aide précieuse»,
continue-t-il. Toutefois, «les fourmis ont de nombreux moyens simples et
fiables de s'organiser entre elles», souligne Francis L. W. Ratnieks. Ces
insectes à castes présentent une forte division des tâches. Et le partage des
rôles se ferait par échange de phéromones. «Nous travaillons à mieux
comprendre ces transmissions bidirectionnelles et dynamiques de données»,
indique Mike Holcombe. Tout n'est peut-être pas perdu pour British
Telecom.
omment font les fourmis Monomorium pharaonis, une espèce
d'hyménoptères plus ou moins aveugles, pour retourner au bercail ? Elles s'en
remettent à la géométrie, selon une étude publiée jeudi dans Nature. Deux
chercheurs en informatique et un entomologue de l'université de Sheffield
(Grande-Bretagne) ont analysé la manière dont les fourmis «fourrageuses»
retrouvent leur chemin. Ces fourmis sont, chez de nombreuses espèces, les
ouvrières charger d'alimenter la colonie.
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