Fourmis et araignées      

Alain Lenoir mis à jour 28-Déc-2023          

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Maman (1999), l'araignée de Louise Bourgeois à Bilbao (photo de 2018) :

Les araignées sont de bonnes prédatrices de fourmis. Elles sont presque toutes solitaires, seules une vingtaine d'espèces sont sociales (voir Araignées sociales). Certaines d'entre elles sont exclusivement myrmécophages, par exemple les Zodarion sont des araignées qui se nourrissent exclusivement de fourmis. Zodarion jozefienae se nourrit exclusivement de Messor barbarus, Zodarion cesari de Linepithema humile. Elles vivent en zone méditéranéenne où elle capturent des Messor. Z. elegans en Croatie mange les Messor wasmanni. Cela fournit du carbone, de l'azote (surtout chez les myrmicines) et des lipides (surtout chez les formicines) (Pekar et Mayntz 2014). Les fourmis se défendent en attaquant le prédateur, en mettant des guardiennes, parfois en déménageant l'entrée du nid et en stoppant temporairement tout foraging après avoir fermé l'entrée du nid. Cela peut durer jusqu'à 6 jours (MacKey 1982, Traxler 2016). Z. cyrenaicum en Israël est toute petite (3mm) et s'attaque à des Messor arenarius qui peuvent mesurer 17 mm. L'auteur, Stano Pekar parle de David contre Goliath. L'araignée monte sur le dos de sa proie pour lui injecter son venin, essentiellement Formica, Lasius et Messor. En Californie, Latrodectus hesperus est prédatrice des moissoneuses Pogonomyrmex rugosus. La prédation est estimée à 0,2% de la colonie par jour ce qui est relativement important. Les fourmis vont alors fermer l'entrée du nid avec des petits cailloux. Si on enlève les araignées l'activité de la colonie reprend en 24 heures (MacKey 1982). Au Portugal, dans les vignobles, il y a plus d'araignées prédatrices en fonction de la quantité de fourmis. Cela indique un bon équilibre de l'écosystème (Gonçalves et al 2017). Une autre Zodariidae (Leprolochus birabeni) en Argentine se nourrit exlusivement de fourmis et surtout de fourmis champignonnistes Acromyrmex, cela a été confirmé par l'analyse des contenus stomacaux (Pompozzoli et al 2018).

Tatiana Giraud dans sa leçon inaugurale au Collège de France le 17 février 2022 parle des araignées prédatrices de fourmis qui ressemblent à s'y méprendre à leurs proies (p.15). (Giraud 2022).

On estime que les araignées sont les principaux prédateurs d'insectes dans le monde, cela pourrait être 400-800 millions de tonnes par an (poids frais) dont plus de 90% d'insectes ! Soit 1/1000 de la production biotique primaire. En forêt tropicale on a 17.3 g /m2/an, 0,6 dans les déserts, dans nos régions cela tombe à 3.6 mais en zone de monoculture à 0.25 car les araignées n'ont pas le temps de se réinstaller (Nyffeler et Birkhofer 2017). Je crois surtout qu'en monoculture il n'y a plus d'insectes ! La biomasse des araignées est estimée à 25 millions de tonnes (contre 280 millions pour les fourmis ! Hölldobler et Wilson 1994, c'est vieux ...).

Dans le Bulletin Intérieur de la SF-UIEIS (1985)      

Ce dessin sur la fourmi travailleuse vient du livre Les Fourmis, une société de l'étrange (1985) :

Les thomises ou araignées-crabes sont redoutables car elles peuvent changer de couleur selon leur substrat et passer inaperçues. Elles capturent des papillons (cf photo), des abeilles et sans doute des fourmis (étude de Jérôme Casas à l'IRBI à Tours en 2002, voir "Le mimétisme des araignées").

            

Dans le Larzac en juin 2022 merci Gilles Odin pour la détermination :

Une araignée prédatrice d'Aphaenogaster senilis à Donana :

Les araignées sauteuses du genre Myrmarachne (Salticide) ont des chélicères qui imitent les antennes de fourmis. Myrmarachne formicaria imite la démarche des fourmis. L'araignée se déplace sur ses 8 pattes mais s'arrête à plusieurs reprises pour soulever ses deux pattes avant, imitant ainsi les antennes des fourmis. Les prédateurs potentiels ne remarqueraient pas ces arrêts mais constateraient seulement la présence des "antennes" et confondraient ces araignées avec des fourmis. Elles tracent aussi des trajectoires sinueuses, ce qui les feraient ressembler à des fourmis qui suivraient des pistes de phéromones (Gevers 2017, Shamble et al 2017). Une autre araignée sauteuse Bagheera kiplingi vit sur les acacias avec les fourmis où elle est tolérée et réussit à voler quelques corps beltiens aux fourmis. C'est la première araignée végétarienne connue (Anonyme 2009).

Myrmarachne formicaria :

Les moissoneuses Pogonomyrmex pergandei secouristes envers des soeurs piégées dans des toiles d'araignées, et elles sont ensuite débarrassées de la soie collée sur leur corps (Kwapich & Hölldobler 2019, Amimoussa 201).

Araignée herbivore
Une araignée sauteuse Bagheera kiplingi vit sur les acacias d'Amérique centrale avec les fourmis où elle est tolérée et réussit à voler quelques corps beltiens aux fourmis. C'est la première araignée végétarienne connue (Anonyme 2009).
Selon Foygoo 2020 :
"Les araignées sont des prédatrices, des êtres carnivores qui chassent leurs proies et les piègent dans leur toile pour les manger. Mais il existe bien une araignée qui est herbivore. Elle a été découverte en 2001 par des chercheurs des universités Villanova et Brandeis. Baptisée Bagheera kiplingi, qui rappelle pourtant l’animal carnivore dans Le Livre de la jungle, elle vit en Amérique centrale. Sur les 40 000 espèces d’araignées connues, elle est la seule qui adopte un tel régime. Cette araignée sauteuse se trouve sur les acacias, des arbustes qui abritent des colonies de fourmis. Les acacias et les fourmis ont développé une sorte de « collaboration ». Les fourmis se réfugient dans l’arbuste et le protègent des herbivores, en échange l’acacia leur fournit du nectar et des corps beltiens pour se nourrir. Bagheera kiplingi profite de ce système en volant du nectar et les corps beltiens aux acacias sans faire sa « part du travail » tout en trompant la vigilance des fourmis. A ce jour, aucune autre araignée adoptant un régime majoritairement végétal a été observée. Cependant, cette araignée a un péché mignon. Certaines se nourrissent des larves des fourmis, mais seulement très rarement."

Les relations entre la faune de fourmis et d'araignées et l'urbanisation dans la région de Salvador. Il faut absolument préserver les petites forêts dans cette région. Les araignées sont plus sensibles que les fourmis à la perte des forêts (Melo et al 2021). Voir Urbanisation

L'odeur de certaines fourmis, un répulsif pour les araignées. Au Canada trois espèces de fourmis qui mangent des araignées (Myrmica rubra, Camponotus modoc et Lasius niger) ont été testées pour un effet répulsif. Les stimuli olfactifs provenant des fourmis Myrmica rubra ont montré un effet répulsif significatif sur trois des espèces d'araignées sélectionnées. Cela pourrait permettre de mettre au point des répulsifs anti-araignées naturels. En effet de nombreuses personnes souffrent de la phobie des araignées. M. rubra est une invasive en Amérique du Nord, c'est peut-être pour cela qu'elle fait peur aux araignées natives (Fischer et al 2021). Voir aussi le Master de A. Fischer (2023).

Citations
Un vieux texte de Coupin en 1904 sur les ennemis des fourmis comme les Zodarions. Pdf
Et dans Maudit karma de David Safier (2008) : "Au moment de sortir Krttx [la fourmi chef] nous rappela les dangers qui nous guettaient dehors : il faut faire attention aux araignées." (p. 68)
Est-ce que l'on mange des araignées ? Oui, Blanche, dans "Une bête au paradis" (Cécile Coulon, L'Iconoclaste 2019) "avala la bête" Pdf

Voir une immense araignée de la période inca à Nazca (Pérou) vue d'avion en 2007. On dirait une fourmi mais il y a bien 8 pattes.

Les araignées dans Les Insectes en BD (Tome2) :

dans La vie des fourmis

Fake News. Les araignées sont victimes de fake news.
"Près d’un article sur 2 (47 %) publié entre 2010 et 2020 dans la presse en ligne à propos des araignées contient des erreurs, tandis que 43 % sont jugés sensationnalistes. Des scientifiques spécialistes des arachnides ont voulu comprendre comment des informations trompeuses sur les araignées se diffusent. Pour ce faire, ils ont passé au crible les articles consacrés aux araignes et à leurs interactions avec les êtres humains, c’est-à-dire principalement les rencontres et les morsures. Les auteurs de cette étude publiée dans la revue Current Biology en août 2022 soulignent que le sensationnalisme favorise tant leur diffusion que la diffusion de fausses informations sur les araignées. Leur travaux ont porté sur l’analyse de 5348 contenus mis sur Internet dans une quarantaine de langues et publiés dans 81 pays."
- Mammola, S., J. Malumbres-Olarte, V. Arabesky and et al. (2022). The global spread of (mis)information on spiders. Current Biology 32 (16): R871. doi: https://doi.org/10.21203/rs.3.rs-1383492/v1. 2 chercheurs de Rennes.
- Les araignées, aussi victimes de la désinformation sur Internet. Julien Leprovost. GoodPlanet.mag 24 août 2022.

Une belle épeire diadème à Sixt (Hte-Savoie, août 2022) :

Araignées volantes. Une superbe vidéo dans la Brenne (Indre). La Nouvelle République (8 déc 2023)

      

Vermines, film de Sébastien Vanicek, 2023. "Un divertissemnt à émanation sociale et politique", par Maroussia Dubreuil (Le Monde 27 déc 2023). Un film d'horreur avec des araignées qui envahissent un immeuble.

Voir
- Anonyme (2009). La première araignée végétarienne. Le Monde 17 octobre 2009. Pdf
- Coupin, H. (2015). Les ennemis des foumis. Par Henri Coupin. Dans La Nature, n°1634, septembre 1904. Insectes 178: 35-37. Pdf
- Gevers, L. (2017) Marcher comme des fourmis permettrait aux araignées d'échapper aux prédateurs. sciencesetavenir.fr, 18 juillet 2017. https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/insectes/le-mimetisme-chez-les-araignees-comme-strategie-de-survie_114827 Pdf
- Pekar, S. (2014). Une araignée David l'emporte contre une fourmi Goliath. Le Monde Science et Médecine 18 juin. Pdf
- Saint-Auguste, A. (2017). Les araignées sont plus voraces que l'homme. Sciences et Avenir 842, avril 2017: p. 26. Pdf

- Amimoussa, Y. (2019) Fascinant : ces fourmis sauvent leurs congénères piégées dans les toiles d’araignées. dailygeekshow.com, 1 juin 2019, p. https://dailygeekshow.com/fourmis-sauvetage-toile/
- Fischer, A., Y. Lee, T. e. Dong and G. Gries (2021). Know your foe: synanthropic spiders are deterred by semiochemicals of European fire ants. Royal Society Open Science 8(5): 210279. doi: doi:10.1098/rsos.210279.
- Andreas Fischer (2023). Contributions to integrated management of synanthropic spiders. Master, SIMON FRASER UNIVERSITY.
- Foygoo, J. (2020) Le saviez-vous ? Il existe une araignée herbivore. dailygeekshow.com 17 décembre 2020. Lien
- Giraud, T. (2022). Dynamique et évolution de la biodiversité et des écosystèmes, Collège de France, fayard, 88p
- Gonçalves, F., V. Zina, C. Carlos, I. Crespo, I. Oliveira and L. Torres (2017). Ants (Hymenoptera: Formicidae) and Spiders (Araneae) Co-occurring on the Ground of Vineyards from Douro Demarcated Region. Sociobiology 64. http://periodicos.uefs.br/ojs/index.php/sociobiology/article/view/1934
- Hölldobler B, Wilson EO (1994) Journey to the ants: a story of scientific exploration. Harvard University Press, Cambridge
- Kwapich, C. and B. Hölldobler. Destruction of spider webs and rescue of ensnared nestmates by a granivorous desert ant (Veromessor pergandei). The American Naturalist 0(ja): null. 10.1086/704338
- MacKay, W. P. (1982). The effect of predation of western widow spiders (Araneae: Theridiidae) on harvester ants (Hymenoptera: Formicidae). Oecologia 53: 406-411. doi:10.1007/BF00389022
- Melo, T. d. S., E. F. Moreira, M. V. A. Lopes, A. R. S. Andrade, A. D. Brecovit, M. C. L. Peres and J. H. C. Delabie (2021). Influence of urban landscapes on ants and spiders richness and composition in forests. Neotrop Entomol, sous presse.
- Nyffeler, M. and K. Birkhofer (2017). An estimated 400–800 million tons of prey are annually killed by the global spider community. The Science of Nature 104(3): 30. 10.1007/s00114-017-1440-1. Libre de droits
- Pekár, S. and D. Mayntz (2014). Comparative analysis of the macronutrient content of Central European ants (Formicidae): Implications for ant-eating predators. Journal of Insect Physiology 62: 32-38. http://dx.doi.org/10.1016/j.jinsphys.2014.01.008
- Pekár, S., O. Šedo, E. Líznarová, S. Korenko and Z. Zdráhal (2014). David and Goliath: potent venom of an ant-eating spider (Araneae) enables capture of a giant prey. Naturwissenschaften 101(7): 533-540. 10.1007/s00114-014-1189-8
- Pompozzi, G., L. Petráková and S. Pekár (2018). Evolution of ant-eating specialization in the basal lineage of Zodariidae (Araneae): the trophic ecology of South American Leprolochus birabeni Mello-Leitão. Biological Journal of the Linnean Society 124(1): 21-31. 10.1093/biolinnean/bly034
- Septier, H. (2021) Pour des scientifiques, l'odeur des fourmis pourrait faire fuir les araignées. bfmtv.com 19 mai 2021. Lien
- Shamble, P. S., R. R. Hoy, I. Cohen and T. Beatus (2017). Walking like an ant: a quantitative and experimental approach to understanding locomotor mimicry in the jumping spider Myrmarachne formicaria. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences 284(1858). 10.1098/rspb.2017.0308
- Traxler, T. (2016). The impact of predation by the myrmecophagous spider
Zodarion elegans (Araneae: Zodariidae) on the activity pattern of the Mediterranean harvester ant Messor wasmanni (Hymenoptera: Formicidae). Ecologica Montenegrina 8 September 2016: 17 p.