Fourmi amazone Polyergus

Alain Lenoir mis à jour 16-Nov-2023

Ces fourmis esclavagistes ou fourmis amazones ont été beaucoup étudiées par Patrizia d'Ettorre lors de son postdoc à Tours pour l'aspect chimique. Ce sont des esclavagistes obligatoires, incapables de se nourrir seules et d'élever leur couvain. Les mandibules de ces fourmis sont en forme de faucille et sont très tranchantes et finement dentelées, ce sont des outils de mise à mort efficaces. Les reines de Polyergus après l'accouplement vont pénétrer dans la colonie de Formica hôte, par exemple F. cunicularia. Ces reines ont très peu d'hydrocarbures cuticulaires, ce qui les rend sans doute insignifiantes chimiquement (chemical insignificance), elles peuvent donc rentrer chez les hôtes sans êtres agressées et tuer la reine, s'approprier le couvain et se faire adopter par les Formica. En quelques jours la reine développe un profil d'hydrocarbures identique à celui des ouvrières esclaves. Il est vraisemblable que la reine acquiert ses hydrocarbures par contact avec les ouvrières hôtes (D'Ettorre & Errard 1998, Errard & D'Ettorre 1998, D'Ettorre et al 2002). La reine fondatrice possède par ailleurs de grandes quantités d'une substance (octadécyl butyrate) fabriquée dans la glande de Dufour qui sème la panique chez les ouvrières de Formica qui peuvent être agressives (D'Ettorre et al 2000). La reine va pondre et ses filles vont apparaître vite. Dès qu'elles sont suffisamment nombreuses elles vont repérer des colonies voisines de Formica pour y effectuer des raids, rapporter des cocons qui vont éclore pour faire de nouvelles esclaves..

Voir un beau raid filmé par Jacques Gautrais Vidéo, et un texte de Luc Passera (2012) et un autre excellent film "Au royaume des fourmis" avec la vie de Polyergus samurai (lien vers le film)

Profils de la reine Polergus fondatrice (en haut, avec très peu d'hydrocarbures et de l'octadecyl butyrate répulsif) et après 5 jours et des ouvrières esclaves Formica :

Chromatogrammes superposés qui montrent bien le mimétisme chimique :

En fait, malgré le mimétisme chimique, les différences subtiles sont perceptibles par les ouvrières des deux espèces et des rebellions se produisent surtout en début de fondation où les esclavagsites sont en petite qauntité. Cela a été montré chez Polyergus samurai avec ses esclaves Formica japonica (voir le film documentaire)

En Amérique du nord P. breviceps utilise comme esclaves Formica altipetens. Les colonies de cette espèce prises comme esclaves sont génétiquement et chimiquement plus diverses que leurs congénères libres. C'est sans doute lié au fait que les Polyergus font leurs raids autour de leur nid. Les esclaves Formica sont moins agressives envers des étrangères que le sont les fourmis de colonies libres (Torres and Tsutsui 2016).

Les Polyergus semblent être des fourmis fragiles sensibles aux pollutions. Christian Foin, myrmécologue amateur, m'écrit  "Tu seras peut être intéressé de savoir que certaines espèces de fourmis, je pense aux Polyergus suivent le même déclin que les abeilles. Il y avait il y a 30 ans un nid tous les 500m autour de chez moi [dans le Gers]. Les deux derniers que je connais sont à 15 et 30km. Les deux dans des endroits loin des cultures. J’ai vu les autres s’orpheliner un à un. Un dernière année avec l’élevage des seuls mâles. Il y en a surement d’autres mais difficiles à trouver loin des chemins. Egalement le milieu se transforme avec la disparition des moutons. Le reboisement spontané passant par les ronciers mais surtout avec la généralisation de la chimie sur tous les milieux ouverts. C’est plus rapide que toutes autres formes de travail." (mail 9 nov 2019). J'ai aussi observé la même chose près de chez moi à Azay-sur-Cher (près de Tours) où il y avait plusieurs colonies de Polyergus. Thibaud Monnin était venu les photographier pour le livre "Guide des fourmis de France" et elles ont toutes disparues.

Polyergus. Carte postale de l'institut de technologie de Kyoyo (années 1980, par R. Yamaoka).

Voir
- D'Ettorre, P. and C. Errard (1998). Chemical disguise during colony founding in the dulotic ant Polyergus rufescens Latr. (Hymenoptera, Formicidae). Insect Social Life 2: 71-77.
- Errard, C. and P. D'Ettorre (1998). Camouflage chimique chez la reine de Polyergus rufescens lors de la fondation. Actes Colloques Insectes Sociaux 11: 137-141. Pdf
- D'Ettorre, P., C. Errard, F. Ibarra, W. Francke and A. Hefetz (2000). Sneak or repel your enemy: Dufour's gland repellent as a strategy for successful usurpation in the slave-maker Polyergus rufescens. Chemoecology 10: 135-142.
- D'Ettorre, P. and C. Errard (1999). Trophallaxie proctodéale chez la fourmi esclavagiste Polyergus rufescens. Actes Colloques Insectes Sociaux 12: 61-64. Pdf
- D'Ettorre, P., C. Errard, F. Ibarra, W. Francke and A. Hefetz (2000). Sneak or repel your enemy: Dufour's gland repellent as a strategy for successful usurpation in the slave-maker Polyergus rufescens. Chemoecology 10: 135-142.
- D'Ettorre, P., N. Mondy, A. Lenoir and C. Errard (2002). Blending on with the crowd: social integration into their host colonies using a flexible signature. Proc. R. Soc. London B 269: 1911-1918. Pdf
- Luc Passera (2012). Les fourmis esclavagistes : la fourmi amazone. Dossier - Fourmi : les secrets de la fourmilière. https://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/zoologie-fourmi-secrets-fourmiliere-1404/page/14/
-
Torres, C. W. and N. D. Tsutsui (2016). The Effect of Social Parasitism by Polyergus breviceps on the Nestmate Recognition System of Its Host, Formica altipetens. PLoS ONE 11(2): e0147498. 10.1371/journal.pone.0147498. Libre de droits

Faunes
- Blatrix, R., C. Galkowski, C. Lebas and P. Wegnez (2013). Fourmis de France, Delachaux et Niestlé. p.104-105
- Monnin, T., X. Espadaler, A. Lenoir and C. Peeters (2013). Guide des fourmis de France, Belin. p.86-87