Alimentation fourmi de feu noire

Alain Lenoir Mis à jour 15-Oct-2020      

Comment certaines fourmis utilisent des outils pour échapper à la noyade, par Emeline Férard (9 oct 2020) (Lien)

 

"Des scientifiques ont mené une nouvelle étude sur une espèce de fourmi originaire d'Amérique du Sud. Ils ont constaté non seulement que les insectes étaient capables d'utiliser des outils pour échapper à la noyade mais également qu'ils pouvaient modifier leur stratégie en fonction des risques qu'ils encouraient.
L'utilisation d'outils chez les animaux fascine depuis longtemps les chercheurs et pour cause. On a longtemps pensé que cette aptitude était réservée à l'humain. Jusqu'à ce que l'on découvre que certains animaux en étaient aussi capables. C'est chez les chimpanzés que les premières découvertes ont été réalisées. Depuis, plusieurs espèces ont rejoint la liste : d'autres primates, mammifères, des oiseaux, des poissons mais aussi des insectes.
Les fourmis font partie de ces rares privilégiés. Les recherches scientifiques ont permis de documenter plusieurs exemples d'utilisations d'outils chez ces insectes sociaux. Certains peuvent ainsi employer des grains de sable ou de boue pour transporter des liquides. Ils peuvent également se tourner vers des matériaux moins naturels comme des fragments d'éponge ou de papier, selon des travaux parus en 2016.
Aujourd'hui, c'est un usage encore plus sophistiqué que met en évidence une étude publiée dans la revue Functional Ecology. Ces recherches ont porté sur une espèce en particulier, la fourmi de feu noire importée ou Solenopsis richteri. Elles ont permis de constater que cette dernière était non seulement capable d'utiliser des outils pour échapper à la noyade mais également de modifier sa stratégie en fonction des risques encourus.

S. richteri est originaire d'Amérique du Sud. Longtemps associée à la fourmi de feu rouge Solenopsis invicta, elle est désormais décrite comme une espèce à part entière. Mais comme celle-ci, elle a montré une certaine aptitude à coloniser de nouveaux territoires. Introduite dans le sud-est des Etats-Unis au début du XXe siècle, la fourmi de feu noire y est maintenant considérée comme invasive.

Comme d'autres espèces, S. richteri peuvent utiliser des outils pour chercher leur nourriture. Mais cette activité n'est pas sans risque pour elles. En raison de leur petite taille, les fourmis s'exposent à un risque important de s'empêtrer ou de se noyer lorsqu'elles s'aventurent à proximité de liquides. Et ce, malgré leur exosquelette hydrophobe qui leur permette de flotter dans une certaine mesure.

Les insectes peuvent-ils adapter leur stratégie en fonction des risques ? C'est l'hypothèse que les scientifiques ont voulu tester. Pour ce faire, ils ont présenté à des fourmis des petits récipients contenant de l'eau sucrée. Ils ont alors observé qu'elles étaient tout à fait capables de flotter à la surface pour s'y nourrir. Dans un second temps, ils ont utilisé un produit pour réduire la tension de surface du liquide sucrée. Autrement dit, ils ont augmenté le risque de noyade pour les fourmis. Ils ont également mis à disposition de leurs sujets un amas de grains de sable de différents diamètres.
Du sable pour échapper à la noyade

L'équipe a constaté que, face au risque de noyade, les insectes se sont mis à employer le sable pour accéder en toute sécurité à l'eau sucrée. "Ils ont utilisé le sable pour créer une structure et attirer efficacement l'eau sucrée hors du récipient afin de la collecter", a expliqué le Dr. Aiming Zhou, professeur adjoint à l'université agricole de Huazhong. Les structures en sable sont apparues tellement efficaces qu'elles ont permis aux fourmis de siphonner la moitié de l'eau sucrée des récipients en à peine cinq minutes. Mais plus intéressant, les scientifiques ont découvert que leurs sujets modifiaient sensiblement leur comportement en fonction des différents paramètres fixés.

Ainsi, plus le risque de noyade était important plus le nombre de grains déposés et leur diamètre étaient importants. D'après le Dr. Zhou et ses collègues, ces résultats démontrent non seulement que les fourmis peuvent utiliser des outils pour chercher de la nourriture mais aussi qu'elles peuvent analyser les conditions et ajuster leur stratégie en fonction.

"Nous savions que certaines espèces de fourmis étaient capables d'utiliser des outils, en particulier pour la collecte de nourriture liquide. Cependant, nous avons été surpris que les fourmis de feu noires importées montrent une utilisation d'outils aussi remarquable", a précisé le Dr. Jian Chen, entomologiste au département d'Agriculture américain (USDA). Si l'on savait déjà que les fourmis possédait une organisation sociale complexe et pouvait accomplir des tâches difficiles, cette découverte livre de nouvelles informations précieuses quant à leurs aptitudes. "Ces insectes sociaux pourraient avoir des capacités cognitives très élevées pour des stratégies de recherche uniques", a ajouté le Dr. Chen. Les recherches demeurent toutefois à poursuivre pour mieux évaluer leur comportement, de même que celui d'autres espèces de fourmis face à la même situation. "Notre étude est la première à toucher à cet intéressant sujet. Nous espérons que notre papier va motiver d'autres (scientifiques) à mener d'autres recherches", a conclu le co-auteur de l'étude."

Voir aussi Des fourmis adaptent leur comportement pour contourner un risque (AFP 8 oct 2020) et Herzberg dans Le Monde du 14 octobre 2020 (Herzberg, N., Les fourmis siphonnent l'eau)

Une espèce de fourmis s'est révélée capable d'utiliser du sable en construisant des passerelles pour exploiter une source d'eau sucrée sans s'y noyer. Dans l'expérience, relatée jeudi par la British Ecological Society, on a présenté à des fourmis de l'eau sucrée, dont elles sont friandes, dans des petites coupelles. Puis on a modifié, avec un liquide tensioactif, la portance du liquide, accroissant le risque pour ces insectes de s'y noyer quand elles s'y aventuraient. Disposant d'une source de sable à proximité, les fourmis en ont alors accumulé les grains sur les parois intérieures et extérieures des coupelles, formant ainsi des sortes de passerelles. Ces dernières ont siphonné l'eau sucrée par un phénomène classique de capillarité, comme celui qu'on observe avec le sable d'une berge, qui est gorgé d'eau. Il ne restait plus alors aux fourmis qu'à accéder sans risque à la précieuse ressource. "La fabrication d'un +siphon+ pour obtenir une source d'aliment liquide n'a jamais encore été rapportée dans le monde animal", selon les auteurs de l'étude, des chercheurs d'une Université agricole chinoise à Wuhan et d'un laboratoire américain du Mississippi étudiant les insectes ravageurs.

L'utilisation d'outils par des animaux est un fait aujourd'hui bien établi. Chez les primates mais aussi les oiseaux, avec par exemple des chimpanzés et des corbeaux calédoniens utilisant des tiges pour atteindre une source de nourriture. Des capacités observées chez de nombreux insectes, dont les fourmis. L'étude publiée jeudi s'est penchée sur le comportement de Solenopsis richteri, -la fourmi de feu noire importée-, endémique en Amérique du sud et apparue aux Etats-Unis.

Comme ses cousines de la sous-famille des Myrmicinae, un abdomen non extensible limite sa capacité à stocker et transporter un liquide nourricier. Pour y pallier, au moins deux espèces de ces fourmis savent choisir le matériau, -sable, morceau de sol ou de feuille-, le mieux adapté à son imprégnation d'un liquide alimentaire, - pulpe de fruit ou fluide d'un arthropode comme l'araignée, par exemple -, a montré une étude de 2016 menée par une équipe de chercheurs de l'Université hongroise de Szeged. Interrogé par l'AFP sur l'étude consacrée à Solenopsis richteri, Bernard Werber, le journaliste scientifique et auteur de la saga des fourmis, ne s'est pas dit surpris de ces observations : "Elles sont en permanence en train de tester des choses et d'évoluer". Rappelant que cet hyménoptère compte pas moins de 12.000 espèces, il a souligné que "des tas d'entre elles ont trouvé des solutions différentes à des problèmes différents". Et que les observations à venir "nous surprendront toujours".