Neurotransmetteurs et fourmis
Alain Lenoir en cours de rédaction 22-Avr-2023
Les neurotransmetteurs, ou neuromédiateurs, sont d'une importance considérable dans le fonctionnement du cerveau. On découvre de plus en plus leur rôle dans les systèmes de récompense. Chez Pogonomyrmex barbatus on a dosé la dopamine, la sérotonine, l'octopamine et la tyramine (de 50 à 15 pg/cerveau). De manière innatendue il y a moins de variations entre individus d'une même colonie qu'entre colonies, ce qui signifierait que le taux change avec les conditions environnementales (Shin et al 2020). C'est ainsi que l'on considère maintenant que la dopamine est le transmetteur du plaisir (avec toutes les accoutumances possibles) et la sérotonine celui du bonheur (Foucart 2018) mais aussi l'ocytocine (neuropeptide) qui pourrait être "l'hormone de l'amour", en fait chez les insectes ce serait l'inotocine (Devillers 2017).
Chez les insectes l'octopamine est équivalente de la noradrénaline des vertébrés. Chez les fourmis, bien sûr tous les neuromédiateurs sont impliqués dans de nombreux aspects de la vie et de la socialité.
- L'inotocyne
   Esther Gil-Mansilla 
  a travaillé sur l'inotocyne, nouveau neuropeptide découvert par 
  génomique et transcriptomique chez les insectes où elle remplace 
  l'ocytocine ("L'hormone de l'amour" des vertébrés) et 
  la vasopressine (Grubet & Muttenthaler 2012). Parmi les fourmis on la trouve 
  chez Camponotus floridanus et Dinoponera quadriceps (Liutkeviciute 
  et al 2016) et une molécule a été synthétisée 
  à partir de l'intocyne qui inhibe la vasopressine humaine et pourrait 
  donc devenir un médicament contre les accouchements prématurés 
  (Di Giglio et al 2017, voir sciencedaily 2017). Chez Lasius niger et 
  L. neglectus l'expression des gènes a été bloquée 
  par ARN interférence (RNA knockdown). Les fourmis traitées ont 
  une activité locomotrice plus forte et se toilettent plus, tout le métabolisme 
  est concerné (Liutkeviciute et al 2018).
  Division du travail chez Camponotus fellah. 
  Laurent Keller et une équipe japonaise ont découvert qu'une hormone 
  peptidique, l'inotocine (appelée dans l'article "oxytocin-vasopressin 
  like") est responsable du changement de comportement en fonction de 
  l'âge. Le taux d'hormone augmente avec l'âge et quand elle atteint 
  un certain seuil la fourmi devient pourvoyeuse. Avec l'âge, jusqu'à 
  7 mois, l'augmentation du taux d'hormone change la composition de la peau et 
  la surface du corps devient plus résistante à la sécheresse 
  en jouant sur la synthèse des hydrocarbures. Ce sont surtout les alcanes 
  linéaires qui sont modifiés, ce qui correspond bien à une 
  augmentation de la résistance de la cuticule à la sécheresse 
  (Koto et al 2019, voir Coulon 2019, 
  Meurisse 2019). 
  
- L'isolement social induit une augmentation d'octopamine chez Camponotus fellah (Boulay et al. 1999) et des injections d'octopamine suppriment cet effet (Boulay et al 2000). On observe le même effet de l'isolation chez Formica japonica (Wada-Katsumata et al. 2011).
- Reconnaissance coloniale et agression. Chez Tetramorium caespitum les niveaux d'octopamine et de sérotonine influencent la décision d'agresser des étrangères, et un niveau plus élevé de dopamine augmente l'agressivité (Bubak et al 2016).
Rôle des amines biogènes chez les insectes sociaux. Une belle métanalyse des publications sur ce domaine. Les amines les plus importantes sont revues pour les abeilles, fourmis, termites et guêpes : dopamine, tyramine, sérotonine, octopamine avec surtout les fourmis. parmi les fourmis on trouve entre autres Streblognathus peetersi, Formica japonica, Formica polyctena, Acromyrmex echinatior, Solenopsis invicta, Lasius niger, Odontomacus kuroiwae, Camponotus fellah. Les effets sont étudiés sur la reproduction (différenciation des reines), le fourragement, la maturation et la division du travail, la reconnaissance coloniale et l'agressivité, la trophallaxie et les relations interspécifiques, autrement dit tout dans la vie sociale (Barbero et al 2023). Voir Neurotransmeteurs
Voir
  - 
  Barbero, F., G. Mannino and L. P. Casacci (2023). The Role of Biogenic Amines 
  in Social Insects: With a Special Focus on Ants. Insects 14(4): 386. Lien 
  pdf 
  - Boulay, R., M. Quagebeur, E. J. Godziñska and A. Lenoir (1999). Social 
  isolation in ants: evidence of its impact on survivorship and behaviour in Camponotus 
  fellah (Hymenoptera, Formicidae). Sociobiology. 33: 111-124. Pdf
  - Boulay, R., V. Soroker, E. J. Godziñska, A. Hefetz and A. Lenoir 
  (2000). Octopamine reverses the isolation-induce increase in trophallaxis in 
  the carpenter ant Camponotus fellah. J. Exp. Biol. 203: 513-520. Pdf
  - Bubak, A. N., J. D. 
  W. Yaeger, K. J. Renner, J. G. Swallow and M. J. Greene (2016). Neuromodulation 
  of Nestmate Recognition Decisions by Pavement Ants. PLoS ONE 11(11): e0166417. 
  10.1371/journal.pone.0166417
  - Coulon, 
  A. (2019) Le mécanisme de répartitions des tâches des fourmis 
  découvert à l'UNIL. 6 mars 2019. 
   Vidéo 
  de 2 min sur le site de rts.ch. Pdf 
  
  - Devillers, S. (2017) Comme les humains, la fourmi a aussi son "hormone 
  de l’amour". Mais à quoi sert-elle ? lalibre.be, 9 août 
  2017, p. http://www.lalibre.be/actu/planete/comme-les-humains-la-fourmi-a-aussi-son-hormone-de-l-amour-mais-a-quoi-sert-elle-5989e621cd706e263f452ac7. 
  Lien 
  - 
  Di Giglio Maria 
  Giulia , Markus Muttenthaler, Kasper Harpsøe, 
  Zita Liutkeviciute, Peter Keov, Thomas Eder, Thomas Rattei, Sarah Arrowsmith, 
  Susan Wray, Ales Marek, Tomas Elbert, Paul F. Alewood, David E. Gloriam, Christian 
  W. Gruber. Development of a human vasopressin V1a-receptor antagonist from an 
  evolutionary-related insect neuropeptide. Scientific Reports, 2017; 7: 41002 
  DOI: 10.1038/srep4100
  - Foucart, S. (2018). Réseaux sociaux, sucre... L'occident sous dopamine. 
  Le Monde Science et Médecine 31 janvier 2018. p. 1, 4-5.
  - Gruber, C. W. and M. Muttenthaler (2012). Discovery of 
  Defense- and Neuropeptides in Social Ants by Genome-Mining. PLOS ONE 7(3): e32559. 
  doi: 10.1371/journal.pone.0032559. 
  - Koto, A., N. 
  Motoyama, H. Tahara, S. McGregor, M. Moriyama, T. Okabe, M. Miura and L. Keller 
  (2019). Oxytocin/vasopressin-like peptide inotocin regulates cuticular hydrocarbon 
  synthesis and water balancing in ants. Proceedings of the National Academy of 
  Sciences: 201817788. 10.1073/pnas.1817788116  
  
  - Liutkeviciute, Z., J. Koehbach, T. Eder, E. Gil-Mansilla 
  and C. W. Gruber (2016). Global map of oxytocin/vasopressin-like neuropeptide 
  signalling in insects. Scientific Reports 6(1): 39177. doi: 10.1038/srep39177.
  - Liutkeviciute, Z., E. Gil-Mansilla, T. Eder, B. Casillas-Pérez, 
  M. G. Di Giglio, E. Muratspahic, F. Grebien, T. Rattei, M. Muttenthaler, S. 
  Cremer and C. W. Gruber (2018). Oxytocin-like signaling in ants influences metabolic 
  gene expression and locomotor activity. The FASEB Journal 32(12): 6808-6821. 
  doi: https://doi.org/10.1096/fj.201800443.
  - 'Love hormone' from insects as potential drug lead for 
  inhibiting preterm labor (2017). sciencedaily.com. 
  1er février 2017.
  - 
  Meurisse, M. (2019). L'hormone qui durcit la carapace des fourmis. Le Monde 
  Sciences & Médecine 13 mars 2019. Pdf 
   
  - Shin, M., D. A. Friedman, D. M. Gordon and B. J. Venton 
  (2020). Measurement of natural variation of neurotransmitter tissue content 
  in red harvester ant brains among different colonies. Analytical and Bioanalytical 
  Chemistry. 10.1007/s00216-019-02355-3
  - Wada-Katsumata, 
  A., R. Yamaoka and H. Aonuna (2011). Social interactions influence dopamine 
  and octopamine homeostasis in the brain of the ant Formica japonica. J. Exp. 
  Biol. 214: 1707-1713. doi:10.1242/jeb.051565