LA FOURMI ALLIÉE DE L'HOMME

Alain Lenoir mis à jour 23-Sep-2022

Si les fourmis peuvent dans certains cas être un fléau pour l'agriculture, c'est dans de ce secteur qu'elles sont également d'une grande utilité pour l'homme.

Globalement, les fourmis sont d'excellents prédateurs d'insectes herbivores. Les oiseaux en consomment de 35 à 500 kg/ha/an d'insectes selon les régions. Pour les fourmis et les araignées c'est à peu près les mêmes niveaux (Nyffeler et al 2018). Monomorium subopacum, Tapinoma simrothi, Cataglyphis viatica et Messor picturatus maura prélèvent 18.8% des larves du troisème stade de la mouche Ceratis capitata dans les forêts d'arganiers au Maroc (El Keroumi et al., 2010).

Le rôle des fourmis dans la protection des cultures biologiques. Bonne nouvelle. Au Soudan, avec des chinois, on a mesuré le taux de prédation des oeufs d'une piéride dont la chenille mange les légumes. Le nombre d'oeufs diminue de 26,8% par jour par les fourmis alors que les coléoptères (coccinelles et staphylins) ne font que 13%. Les fourmis sont surtout Axinidris acholli (Dolichodérine endémique afrotropicale), Tapinoma carininotum et Technomyrmex moerens (au total 3 Dolichodérines). D'autres espèces comme des Linepithema, Dorymyrmex et Camponotus sont moins efficaces (Eisawi et al 2022).

Les fourmis protègent mieux les cultures que les pesticides (goodplanet.info 18 août 2022) (Anjos et al 2022)
Dans l’absolu, considérant la méta-analyse de 52 études portant sur 17 cultures différentes, nous avons trouvé que la présence des fourmis réduit la présence des ravageurs autres que ceux se nourrissant de sève, diminue les dommages subis par les plantes et améliore les rendements », écrivent les auteurs d’une étude publiée dans la revue scientifique Proceedings of Royal Society B. Ils ajoutent que les fourmis se montrent plus efficaces pour protéger les cultures d’une parcelle si celle-ci n’est pas exploitée en monoculture. Leur étude The effects of ants on pest control: a meta-analysis (une méta-analyse des effets des fourmis sur le contrôle des ravageurs) plaide en faveur du recours au biocontrôle en agriculture, c’est-à-dire remplacer des produits phytosanitaires par des insectes ou des procédés naturels pour se prémunir des menaces sur les plantes qu’on fait pousser. De telles techniques agricoles ont notamment été utilisées pendant des siècles en Chine où des fourmis étaient employées pour défendre les cultures d’agrumes contre leurs ennemis naturels.
Plus les espèces de fourmis sont diversifiées, plus elles protègent contre différents types de ravageurs. Les chercheurs estiment ainsi que recourir aux services de fourmis offre plus d’avantages que d’inconvénients dans l’agriculture. Les chercheurs affirment ainsi que « de façon générale, avec une gestion adaptée, les fourmis peuvent se montrer utiles dans la lutte contre les ravageurs et l’augmentation des rendements agricoles dans la durée. Certaines espèces ont une efficacité égale ou supérieure aux pesticides, à moindre coût ». Cité par The Guardian, l’auteur principal de l’étude, le docteur Diego Anjos de l’université d’Uberlândia au Brésil, déclare : « notre étude devrait encourager les fermiers à recourir à des pratiques plus durables comme le contrôle biologique fourni par les fourmis et à diversifier leurs cultures de manière à promouvoir naturellement le rôle des fourmis dans le système agricole »."
Julien Leprovost

Les fourmis rousses (Formica du groupe rufa) qui forment des dômes de brindilles dans nos forêts sont les prédateurs de bon nombre d'invertébrés. On estime à plusieurs millions le nombre de proies ramenées en une saison par les ouvrières d'une seule colonie. Les Formica s'attaquent notamment à de nombreuses chenilles. Elles protègent les forêts de conifères contre les ravageurs tels que les chenilles processionnaires. Depuis bien longtemps les forestiers savent que la présence de nombreuses colonies dans une forêt est un indicateur de sa bonne santé. En Allemagne, une loi datant de 1880 condamne à une forte amende quiconque détruirait les nids des fourmis des bois. En Italie, des nids entiers ont été transportés par camion dans des tonneaux pour être introduits dans des régions menacées par les invasions de ces Lépidoptères. La protection de ces fourmis est d'autant plus importante que les cocons servaient (et servent encore de nourriture pour les faisans, il y avait dans les grandes propriétés des "fourmilleux" chargés de récolter les "œufs" de fourmis, ce qui a entraîné leur raréfaction en maints endroits.

Au siècle dernier, McCook rapporte que dans plusieurs provinces de Canton, les fourmis fileuses oecophylles sont utilisées pour lutter contre les pullulations de chenilles de papillons. Des fourmilières entières sont capturées dans les montagnes pour être implantées dans les orangeraies.

On prend en compte actuellement les insectes comme faisant partie des SDG (Sustainable Development Goals) des Nations Unies. Les champignonnistes sont considérées comme alliées pour le recyclage de matière organique et les insectes comestibles dans les solutions pour les problèmes d'alimentation (Dangles et Casas 2019).

Dans les zones chaudes et humides du globe, on rencontre d'autres fourmis particulièrement efficaces pour éliminer les vermines. Les fourmis légionnaires (magnans d'Afrique, Eciton d'Amérique) forment des colonies immenses ayant la particularité de ne pas établir de nid fixe. Elles se déplacent sans cesse dans les forêts tropicales. Leurs pratiques guerrières leur ont souvent valu d'être surnommées les Uns et les Tartares des insectes. Les colonnes de chasse des fourmis légionnaires s'étalent sur des centaines de mètres de long. Elles dévastent tout sur leur passage, s'attaquant même à certains petits invertébrés comme des rats et des souris (ou un homme attaché !). Ces fourmis ont véritablement inventé la chasse en groupe comme peu d'autres animaux ont su le faire. Les colonnes de chasse des fourmis légionnaires sont généralement bien accueillies à l'intérieur des habitations humaines même si elles obligent leurs propriétaires à quitter les lieux le temps de leur passage. Elles débarrassent les maisons de la plupart des petites bêtes indésirables. Autrefois, au Mexique, les hommes débarrassaient leur vêtements des parasites en les plaçants sur un nid de fourmis moissonneuses.

En Amérique du sud, les fourmis champignonnistes étaient utilisées par les indiens pour guérir leur blessures. Les colonies d'Atta comportent des ouvrières dont la taille est très variable. Les plus grosses ont une tête et des mandibules démesurées par rapport au reste du corps. Ces ouvrières particulières sont appelées soldats. Les indiens leur faisait mordre leurs plaies de manières à en rapprocher les deux bords. Une fois les mandibules refermées, ils coupaient le corps des fourmis, se servant de la tète des soldats comme de véritables agrafes chirurgicales. En Afrique tropicale les soldats de magnans sont utilisés de la même manière par les pygmées.

En Europe, on récupérait autrefois l'acide formique produit par les fourmis rousses. Cet acide était un élément essentiel de la pharmacopée du 18 et du 19ème siècle. On lui attribuait de nombreuses vertus et notamment aphrodisiaques. Bien sûr la plupart de ces effets pharmacologiques se révélèrent faux. Cependant les effets de l'acide formique sont bien connus des étourneaux et autres passereaux qui pratiquent le bain de fourmis ou formicage pour se débarrasser de leurs parasites. La fourmi est même utilisée par les pervers sexuels formicophiles qui ont besoin de fourmis ou de petits insectes sur les parties génitales pour être excités (J.D. Vincent, p.243). En Chine également on leur attribue d'incroyables vertus. Elles permettraient notamment à ceux qui les consomment de vivre au delà de cent ans.

Dans certaines régions du globe, les fourmis constituent un met recherché. Les indiens d'Amérique ou les aborigènes d'Australie, consomment des fourmis pot de miel (Myrmecocystus ou Melophorus). Celles-ci vivent dans les zones désertiques où elles doivent survivre pendant de longues périodes sans pouvoir trouver de nourriture. Un certain nombre d'ouvrières sont donc chargées de faire des réserves de miel qu'elles conservent dans une poche spéciale de leur tube digestif. Leur abdomen peut prendre des proportions considérables. Elles se pendent au plafond comme des outres et lors des périodes de disette elles régurgitent le liquide sucré à leurs congénères. Les indigènes avaient pour habitude de dénicher ces fourmis et d'en consommer l'abdomen distendu par le miel. Le héros du film Crocodile Dundee (1987) a été élevé par des aborigènes et se nourrit dans le bush de lézards, de larves diverses et de fourmis. En Amérique latine, les larves de fourmis Atta et Liometopum (appelées escamol au Mexique) sont paraît-il excellentes et se vendent très cher. Leur récolte est pour certains villageois la seule source de revenus en argent liquide pour toute l'année. D'une manière générale les sexués de fourmis sont utilisés comme source protéique annexe (par exemple chez les Wayanas de Guyane ou au Brésil). Certains amateurs ou universitaires parlent même de les élever afin de les commercialiser. Les insectes sont parfois considérés comme la nourriture du XXIème siècle, ils sont en effet particulièrement abondants et richement constitués en protéines. Les larves d'Atta contiennent 43% de protéines et 31% de graisses, l'escamol est encore plus riche (60% de protéines pour 12% de graisse). Cet aliment est intéressant car il ne contient pas de cholestérol : les insectes ne synthétisent pas ce composé. Le célèbre épicier parisien Hédiard importait dans les années 1980 des fourmis enrobées de chocolat du Japon. Ces fourmis enrobées de chocolat semblaient toujours être commercialisées en Angleterre puisque les animateurs de l'émission Nulle part ailleurs (Canal plus) en ont consommé en direct le 15 juin 2001. Des livres de recettes sur ce sujet sont aujourd'hui publiés et l'insectarium de Montréal organise régulièrement des repas d'insectes. Les " œufs " de fourmis seront peut-être le caviar de demain... (voir Fourmis comestibles)

Une partie vient de "Les fourmis", Alain Lenoir, dans "Si les lions pouvaient parler" sous la direction de Boris Cyrulnik, Gallimard, 1998.     

Voir
- Anjos, D. V., A. Tena, A. B. Viana-Junior, R. L. Carvalho, H. Torezan-Silingardi, K. Del-Claro and I. Perfecto (2022). The effects of ants on pest control: a meta-analysis. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences 289(1981): 20221316. doi: doi:10.1098/rspb.2022.131.

- Dangles, O. and J. Casas (2019). Ecosystem services provided by insects for achieving sustainable development goals. Ecosystem Services 35: 109-115. https://doi.org/10.1016/j.ecoser.2018.12.002
- Eisawi, K., I. P. Subedi, C. D. Yodé and H. He (2022). Ants (Hymenoptera: Formicidae) increase predation of Belenois solilucis (Lepidoptera: Pieridae) eggs in organic agriculture production systems: a multiple-site field study at Rashad, Sudan. Sociobiology 69(2): e7746. doi: 10.13102/sociobiology.v69i2.7746.
- Nyffeler, M., Ç. H. Sekercioglu and C. J. Whelan (2018). Insectivorous birds consume an estimated 400–500 million tons of prey annually. The Science of Nature 105(7): 47.
10.1007/s00114-018-1571-z.