Parasitisme social

Alain Lenoir Mis à jour 10-Mar-2024

De nombreuses espèces de fourmis sont parasites d'autres espèces (Buschinger 2009; van Zweden and d'Ettorre 2010), il y en aurait environ 230 soit environ 2% des espèces de fourmis. Selon Gandra et al 2021 il y en aurait environ 400, et on en découvre encore. Ce sont surtout des Myrmicines et des Formicinae. Il existe 4 types de parasites : les temporaires, les parasites qui tuent la reine hôte, les parasites permanents (inquilines) et enfin les espèces dulotiques voleuses de couvain. 16 espèces nouvelles ont été décrites depuis 2010, dont Formica frontalis parasite temporaire d'Iberoformica subrufa (Ruano et al 2019). Voir une revue de Casevitz-Weulersse (1979).

Dans la mesure où les colonies de fourmis sont fermées aux étrangers, le parasite devra user de stratégies pour contourner cet obstacle. Les stratégies possibles sont l'insignifiance chimique, le camouflage chimique et le mimétisme chimique sensu stricto (voir Mimétisme chimique) (voir revues Lenoir et al, 2001, Annual Review of Entomology; Wyatt 2003; Akino 2008; Nash and Boomsma 2008), cela vaut aussi pour les vrais parasites.

Parasites inquilines.
Certains parasites sociaux dépendent obligatoirement de leur hôte, ils sont appelés inquilines (abeilles, guêpes et fourmis). On en connait environ une centaine d'espèces. Ils sont apparus 40 fois indépendamment dans la phylogénie des fourmis. Les parasites inquilines sont le plus souvent proches phylogénétiquement de leur hôte (loi d'Emery au sens strict) ou au moins du même genre (loi d'Emery sens large). Il y aussi une coévolution entre l'hôte et son parasite.
Les fourmis hôtes sont souvent polygynes, ce qui pourrait faciliter l'intrusion des parasites (Dahan & Rabeling 2022).
Chez Plagiolepis il y a plusieurs espèces parasites, dont P. xene et P. grassei, parasites de P. pygmaea. La règle d'Emery qui dit que ces parasites ont évolué à partir d'espèces proches par spéciation sympatrique est confirmée (Degueldre et al 2020). Un autre exemple est celui de
Myrmica karavajevi parasite de Myrmica scabrinodis avec un mimétisme chimique presque parfait.

Voir P. xene dans Inf'OPIE-MP n°39 :

Les parasites peuvent aussi fabriquer des allomones qui manipulent le comportement de l'hôte.
- C'est le cas de la fourmi Formicoxenus nitidulus qui vit en parabiose dans les colonies de Formica et produit un dissuasif (deterrent) (Martin et al 2007).
- On trouve aussi des répulsifs (repellents) (D'Ettorre et al. 2000; Zimma et al. 2003; Ruano et al. 2005; Tsuneoka and Akino 2009). Megalomyrmex (thief ants) parasite de Cyphomyrmex pique avec des alcaloïdes pour intégrer la colonie hôte (Adams et al. 2015).
- Des substances de propagande (propaganda substances) qui mettent la panique dans la colonie hôte. Le citral est utilisé par les Lestrimelitta, abeilles sans dard cleptobiotiques qui font par ailleurs du mimétisme chimique (Quezada-Euán et al. 2013).
- et enfin des substances apaisantes. Des Crematogaster envoient une crématoénone apaisante envers les Camponotus (Menzel et al. 2013). Il existe une grenouille qui vit dans les nids de Paltothyreus tarsatus, elle n’est pas piquée par les fourmis car elle secrète des peptides qui agissent comme allomone d’apaisement (Rödel et al. 2013)

On connait aussi des exemples de tricherie visuelle (Eavesdropping). C'est le cas Cephalotes specularis qui suit les traces de Crematogaster ampla et qui ajoute un mimétisme visuel. Les parasites miment la posture de l'hôte (Anonymous 2014; Powell et al. 2014, voir Kerner 2018).

Divers autres exemples
-
Chez les fourmis Myrmicinae il y a 21 espèces inquilines (Witek et al. 2014, Cini et al 2019).

Quelques Myrmica parasites : hirsuta, microrubra et karavajevi (Savolainen and Vepsäläinen 2003). Le statut de parasite de M. microrubra est discuté. J'ai trouvé des Myrmica karavajevi (= Sifolinia laurae) en montagne le 9 août 2008 (Samoëns - 74). Ce sont des fourmis très rares et elles semblent avoir disparues à cet endroit. Les parasites M. karavajevi ont le même profil d'hydrocarbures cuticulaires que leur hôte.

Coup de théatre chez les parasites, de Julien Grangier, Espèces, mars 2024, n°51, p.8. La revue Espèces est une excellente revue naturaliste. N'hésitez pas à vous abonner. Myrmica parasitica était considérée comme une espèce parasite de Myrmica bradleyi. En fait, les ouvrières de M. bradleyi sont simplement de ouvrières de l'hôte parasitées par un cestode.


- Azteca ovaticeps est parasite d'Azteca andreae sur les arbres Cecropia. Pdf voir Azteca
- Selon Fraval (2018) "Sericomyrmex amabilis, l’hôte, et Megalomyrmex symmetochus, le parasite mycophage et amateur de couvain. Après avoir comparé les profils chimiques des unes et des autres et fait se rencontrer dans une arène (boîte de Petri) des S. amabilis de la même colonie, d’un autre nid, d’un nid non parasité et des incrustés M. symmetochus, il ressort de la comparaison des odeurs superficielles – signaux essentiels de reconnaissance - que l’intruse a une stratégie d’insertion dite d’insignifiance : elle est chimiquement invisible en tant qu’étrangère (à combattre). Mais pourtant les fourmis d’un nid non parasité agressent avec la même détermination les parasites et les non congénères et l’agression contre la fourmi parasite semble bien déclenchée par l’odeur de son venin (alcaloïdes). Cette arme chimique semble la clé de l’acceptation par les hôtes." (Neupert et al 2018).
- Les reines d'une espèce de Polyrhachis (sans doute P. lemalidens de Corée) vont pénétrer dans un nid de Camponotus japonica et s'attaquer à la reine pour s'imprégner de son odeur. Il y a des combats car les ouvrières de C. japonica attaquent les intruses. Des intruses vont mourir mais finalement la reine de Camponotus finit par mourrir et une colonie mixte provisoire se forme. C'est du parasitisme social où les ouvrières esclaves peuvent même aider leurs hôtes à combattre une tentative de pillage par des Formica japonica.
voir dans le film "Au royaume des fourmis".
- Voir les parasites chez les Plagiolepis.
- Ectatomma tuberculatum a une espèce inquiline E.
parasiticum (Savarit et Fénéron 2014).
- Fourmis parasites Chthonolasius
- 4 espèces de France décrites.
-
Voir meurtres et esclavage (Myrmoxenus parasite de Temnothorax), parasitage secret (Teleutomyrmex parasite de Tetramorium). dans Fourmi land. Dossier spécial sur les fourmis dans la revue Salamandre (n° 206, octobre-novembre 2011)

Chez les attines il y en a 4 espèces parasites.
Les reines de la fourmi Acromyrmex ameliae parasite d'Acromyrmex subterraneus (De Souza et al 2007) ont une glande métapleurale plus grande et des réponses immunitaires (mesurées par l'encapsulation d'un implant voir De Souza et al 2013) 50% plus fortes que les reines hôtes (Gandra et al 2021). Les Acromyrmex ont toutes 38 chromosomes, sauf la parasite A. ameliae qui en a 36. Les auteurs discutent le mécanisme possible de ce réaarangement au viveau des télomères (Barros et al 2021).
Champignonnistes Sericomyrmex ont une fourmi parasite associée Megalomyrmex qui les protège contre les razzias du prédateur Gnamptogenys avec des alcaloïdes (Adams et al. 2013)

Certaines espèces de Polyrachis comme P. lamellidens sont parasites sociaux temporaires de Camponotus japonicus Myrmecological News Blog (2022). Les reines se frottent contre les ouvrières de l'hôte Camponotus pour acquérir leur odeur et se faire accepter dans leur nid. Les auteurs ont montré par les RNA que les hydrocarbures nouveaux ne sont pas fabriqués par la reine elle-même mais proviennent bien de l'hôte. C'est donc bien du camouflage chimique (Iwai et al 2022).

 

Éclairer l’évolution des fourmis parasites sociaux. Oocerarea biroi, fourmi clonale sans reines, nous révèle plein de surprises. Dans le labo de Daniel Kronauer, Trible et coll (2023) ont montré qu'il pouvait apparaître des mutantes ailées parasites, avec un supergène sur le chromosome 13..

Voir
- Adams, R. M. M., J. Liberti, A. A. Illum, T. H. Jones, D. R. Nash and J. J. Boomsma (2013). Chemically armed mercenary ants protect fungus-farming societies. Proceedings of the National Academy of Sciences in press. 10.1073/pnas.1311654110
- Barros, L. A. C., H. J. A. C. de Aguiar, G. A. Teixeira, D. J. de Souza, J. H. C. Delabie and C. d. S. F. Mariano (2021). Cytogenetic studies on the social parasite Acromyrmex ameliae (Formicidae: Myrmicinae: Attini) and its hosts reveal chromosome fusion in Acromyrmex. Zool. Anz. doi: https://doi.org/10.1016/j.jcz.2021.06.012.
- Casevitz Weulersse, J. (1979). Fondations indépendantes et parasitisme social chez les fourmis (Hym.). Bull. Soc. Entomol. France 84: 218-232. Pdf
- Colindre, L. (2021). Les périodes d'essaimage des fourmis parasites du sous-genre Chthonolasius observées dans la région Hauts-de-France (Hymenoptera : Formicidae : Formicinae). Osmia 9: 7-14. doi: https://doi.org/10.47446/OSMIA9.2. Pdf
- de Souza, D. J., A. Lenoir, M. C. M. Kasuya, M. M. R. Ribeiro, S. Devers, J. d. C. Couceiro and T. M. C. D. Lucia (2013). Ectosymbionts and immunity in the leaf-cutting ant Acromyrmex subterraneus subterraneus. Brain, Behavior, and Immunity 28: 182-193. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.bbi.2012.11.014. Pdf
-
Degueldre, F., P. Mardulyn, A. Kuhn, A. Pinel, C. Karaman, C. Lebas, E. Schifani, G. Bracko, H. Wagner, K. Kiran, L. Borowiec, L. Passera, S. Abril, X. Espadaler and S. Aron (2020). Evolutionary history of inquiline social parasitism in Plagiolepis ants. Molecular Phylogenetics and Evolution. Sous presse,. doi: 10.1016/j.ympev.2020.107016. Pdf
- Fraval, A. (2018) ça vaut bien le sacrifice de quelques nourrissons. Opie-insectes, p. http://www7.inra.fr/opie-insectes/epingle18.htm. Pdf
- Kerner, P. (2018). Moi, parasite, Belin. 188p. Pdf
- Lenoir, A., P. D'Ettorre, C. Errard and A. Hefetz (2001). Chemical ecology and social parasitism in ants. Annu Rev Entomol 46. 10.1146/annurev.ento.46.1.573. Pdf
- Ruano, F., A. Hefetz, A. Lenoir, W. Francke and A. Tinaut (2005). Dufour's gland secretion as a repellent used during usurpation by the slave-maker ant Rossomyrmex minuchae. Journal of Insect Physiology 51: 1158-1164. Pdf
- Ruano, F., A. Lenoir, M. Silvestre, A. Khalil and A. Tinaut (2019). Chemical profiles in Iberoformica subrufa and Formica frontalis, a new example of temporary host–parasite interaction. Insectes Sociaux 66(2): 223-233. 10.1007/s00040-018-00677-6 Pdf

- Adams, R. M., T. Jones, J. Longino, R. Weatherford and U. Mueller (2015). Alkaloid Venom Weaponry of Three Megalomyrmex Thief Ants and the Behavioral Response of Cyphomyrmex costatus Host Ants. Journal of Chemical Ecology: 1-13. 10.1007/s10886-015-0565-y
- Anonymous (2014). Sneaky ants steal in plain sight. Nature 513: 283.
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- Gandra, L. C., K. D. Amaral, J. C. Couceiro, R. A. C. Dângelo, D. J. De Souza and T. M. C. Della Lucia (2021). Immune Defense Strategies of Queens of the Social Parasite Ant Acromyrmex ameliae and Queens of Its Natural Hosts. Neotropical Entomology 50(2): 229-236. doi: 10.1007/s13744-020-00838-y.
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- Savolainen, R., Vepsäläinen, K., 2003. Sympatric speciation through intraspecific social parasitism. Proceeding of the National Academy of Science of USA 100, 7169-7174.
- Trible, W., V. Chandra, K. D. Lacy, G. Limón, S. K. McKenzie, L. Olivos-Cisneros, S. V. Arsenault and D. J. C. Kronauer (2023). A caste differentiation mutant elucidates the evolution of socially parasitic ants. Current Biology 33(6): 1047-1058.e1044. 10.1016/j.cub.2023.01.067 (libre d'accès)
- Tsuneoka, Y. and T. Akino (2009). Repellent effect on host Formica workers of queen Dufour's gland secretion of the obligatory social parasite ant, Polyergus samurai (Hymenoptera: Formicidae). Applied Entomology and Zoology 44(1): 133-141.
- Witek, M., L. P. Casacci, F. Barbero, D. Patricelli, M. Sala, S. Bossi, M. Maffei, M. Woyciechowski, E. Balletto and S. Bonelli (2013). Interspecific relationships in co-occurring populations of social parasites and their host ants. Biological Journal of the Linnean Society: n/a-n/a. 10.1111/bij.12074
- Zimma, B. O., M. Ayasse, J. Tengö, F. Ibarra, C. Schultz and W. Francke (2003). Do social parasitic bumblebees use chemical weapons? (Hymenoptera, Apidae). Journal of Comparative Physiology A 189: 769-775